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dimanche 28 novembre 2010

Barbe Bleue de Maurizio Quarello

Barbe Bleue de Charles Perrault, illustrations de Maurizio Quarello, Milan Presse, Collezction Albums Classiques, 15 avril 2010


Dietro ogni libertà sospirata
c'è in agguato una belva.

                         Alda Merini  (1)


Dans ces mot de la grande poète italienne, morte il y a un peu plus d’un an, est contenue l’essence du drame de Barbe Bleue: le moment de pathos vécu par sa dernière femme, emprisonnée dans une réalité qui lui tombe dessous avec tout son poids.

L’histoire de Barbe Bleue est notoire, c’est l’histoire d’un homme qu’aujourd’hui très probablement nous appellerons de “serial killer” et d’une femme victime, en premier, de sa naïveté, de sa soif d’assouvissement sociale, de sa curiosité et après de cet homme inquiétant à la barbe bleue que tout le monde crains.

Ce qui fait la différence dans cet album, publié par la prestigieuse maison d’édition française Milan Presse, c'est les illustrations de Maurizio Quarello.

Maurizio est un illustrateur magistrale, doué de grandes capacités d’interprétation et d’une technique expressive enviable. Dans ses représentations il est versatile, il sait donner sa voix à chaque histoire de manière inique, se laissant transporter par le conte, adaptant la technique aux exigences narratives: on le voit passer de la peinture dense de Babau Cerca Casa, de Toni Mannaro et de Le Voyage de la Femme Eléphant à la presque absence de couleur de Les Arbres Pleurent Aussi où sa narration délicate et poétique se passe presque sur la pointe des pieds, pour terminer avec le trait de bande dessinée d’Effets Secondaires, sorti pour le Rouergue il y a quelques semaines.

Dans cet album Maurizio nous laisse deviner tout son amour pour le cinéma. Si quelqu’un me demandait de donner une définition de ce livre, je dirais que c’est un album cinématographique, qui laisse entrevoir les atmosphères des films d’Ivory ou du dernier Pride and Prejudice par Wright, une œuvre où tout est mouvement, même l’immobilité.

Chaque image représente un instant cueilli et cristallisé dans un frame, qui parait aller bien au-delà de l’espace de la page. Chaque table, même celles en apparence plus silencieuses, racontent d’un pathos croissant qui terminera avec la défaite du terrible Barbe Bleue.


La narration commence avec une image emblématique: Barbe Bleue regarde soucieux hors de la fenêtre, enveloppé dans la lumière qui filtre timide à travers les nuages chargées de pluie, présage de désastres imminents. Nous le voyons observer sa victime, presque en cachette, dès loin, nous cueillons l’inconscience d’elle dans ses derniers instants de fille innocente, elle qui ne sait pas encore du destin qui l’attends. Nous les observons, jusque mariés, sur la carrosse qui les conduira vers leur nouvelle vie. Après le vide d’un longue couloirs en pénombre qui prélude à un mystère épouvantable. Enfin, après un las de temps indéfini, nous voyons les amies profiter de l’absence du mari pour se faufiler dans un privé qui réveille envie et curiosité et la jeune femme se laisser prendre par la curiosité, et découvrir le macabre secret caché derrière la barbe bleue de son mari.

La clef ensanglantée preuve évidente du pêché de la jeune femme et seul témoin de l’abominable découverte, menace comme silencieuse dénonce de la faiblesse féminine vis-à-vis de l’interdiction. Le mari rentre, recouvert d’obscurité.


De ce moment les événements se suivent rapides, dramatiquement vite, et les tableaux réfléchissent pleinement le dynamisme de l’action: Barbe Bleue découvre le méfait, il accuse sa femme et la condamne à mourir, comme les autres. La narration par images, que jusqu’à ce moment avait été suivante t descriptive par rapport au texte, paraît virer brusquement, introduisant des arrêts sur image inquiétants qui contribuent à augmenter remarquablement la tension dramatique. Les changements de perspective, fréquents et soudains, donnent au conte une intensité particulièrement vigoureuse.

Après la prononciation de la sentence de mort, l’illustrateur nous étonne à nouveau, il nous transporte en dehors de la prison de Barbe Bleue, en changeant complètement de scène : dans une suspension temporelle égale au planer d’un oiseau en vol, la sœur de l’épouse nous apparaît, elle regarde hors de la fenêtre de sa chambre ; s’il n’y avait pas le texte qui nous explique la raison de cette scène nous n’en percevons seulement le calme du printemps et le ciel net. C’est l’image centrale dans la narration, le tournant qui nous permet de respirer à nouveau et d’avoir un premier moment d’espoir. C’est une image que, pour la grâce légère et pour l’intensité de l’instant raconté, me fait penser aux poèmes de Keats.

Mais ce n’est qu’un moment, car nous nous retrouvons immédiatement piégés dans un tourbillon d’événements qui nous traînent vers le climax de l’histoire.


Quarello utilise les techniques cinématographiques avec une maîtrise enviable, il les contrôle avec facilité presque comme si son métier était celui de directeur et non d’illustrateur. En partant du champ et contrechamp, au zoom, à l'arrêt sur image (c’est assez étrange d’utiliser ces définitions pour un album illustré, et pourtant c’est ainsi), il parait que l’illustration est destinée à ne s’arrêter pas à la limite de la page, comme si elle voulait nous happer dans le gouffre des événements. Et c’est ce qui se passe enfin.

Sa peinture rappelle fortement Hopper et les atmosphères des romantiques: en partant avec la palette des couleurs choisis, à la densité polie des coups de pinceaux, continuant avec les jeux de lumières et ombres, aux sujets tirés. Admirables les prises de vue inattendues et toujours surprenantes.

Encore une fois un chef d'œuvre qu’il ne faudrait pas perdre.

Si vous aimez Maurizio Quarello restez dans les alentours, bientôt il y aura des nouvelles.



(1)Aforismi e Magie, d'Alda Merini, avec les dessins d’Alberto Casiraghi, Rizzoli Editeur, Novembre 1999.


“Derrière claque liberté soupiré, il y a une bête féroce en cachette.”


 

Barbe Bleue de Charles Perrault, illustrations de Maurizio Quarello, Collection Albums Classiques, © 2010 Éditions Milan. Les images ont été publiées avec la permission de l’Editeur, toute reproduction est interdite.

2 commentaires:

  1. Oh là là mais il est magnifique. J'hésitais à acheter les contes un par un, je ne savais pas non plus quelle proposition illustrée choisir... mais là c'est sûr cet illustrateur apporte un plus indéniable!
    Merci de me donner envie

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  2. Merci Vanessa! Bien contente de t'avoir donné envie de l'acheter, tu verras! :-)

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