je suis celui qui le premier annonce la venue du printemps.
En avril éclosent mes bourgeons et d'un même élan surgissent
mes fleurs et mes feuilles.
Je suis un marronnier."
Déjà dans les premières lignes, cet album nous transporte dans une dimension 'autre'. Le monde nous apparaît différent lorsque observé parmi les branches d'un marronnier: les saisons s'alternent avec le changement de son feuillage, la vie passe avec un rythme presque suspendu car, celui qui parle, a eu une vie centenaire et le couler frénétique des jours ne le touche pas trop.
D'autre part ceci n'est par un marronnier quelconque, ce n'est pas que le narrateur de notre histoire c'est, en premier, un porteur de mémoires. Nous pouvons nous demander, justement, quelle sorte de mémoires pourrait-il avoir un arbre? Dans le passage lent de son existence, qu'est-ce qui a pu toucher autant un marronnier jusqu'à qu'il nous parle de ses souvenirs?
Eh bien, ce marronnier a vécu toute sa vie dans un jardin, au numéro 263 Canal de l'Empereur, à Amsterdam.
Si encore cette adresse ne vous suggère rien, alors écoutez encore sa voix:
"Moi, le marronnier dans le jardin de la maison 263, Canal de
l'Empereur, j'ai donné à une jeune fille de treize ans, captive
comme un oiseau en cage, un peu d'espoir et de beauté."
Le tableau commence à être un peux plus clair mais il n'est pas encore bien défini, nous ne pouvons pas encore comprendre ce que, dans ses souvenirs, était aussi important pour qu'il le garde avec autant d'attention, pour tout ce temps.
Avec son rythme indéfini, le marronnier nous raconte que nous sommes en 1942: le monde est bouleversé par un "mal terrible", réglé par des lois injustes, les gens autrefois normales sont maintenant comme fous. Ceux qui sont soumis aux nouvelles, terribles, lois ne trouvent pas d'issue, ils cherchent une solution certains en échappant, d'autres en se cachant aux yeux du monde.
(image non disponible)
"C'est le lun 6 juillet 1942 qu'ils arrivent dans l'annexe
de la maison sur le Canal de l'Empereur.
....
Dans son cartable, elle [qui n'a pas encore de nom] a glissé un petit cahier cartonné
très précieux: son journal intime, reçu pour l'anniversaire
de ses treize ans..."
Avant de connaître le nom d' "elle" nous n'en connaîtrons les sentiments, les sensations, les humeurs changeants et contrastants, nous rencontrerons ses peines. Nous verrons notre marronnier, pour la première fois, à travers ses yeux de prisonnière rêvant la liberté, le ciel bleu, les mouettes qui volent dans l'espace immense. Nous lirons de son bouleversement en voyant, de la petite fenêtre de l'annexe, le monde devenir de plus en plus nu et sombre, en percevant la mort toujours plus dominante. Nous l'entendrons participer, dès son coin caché, aux douleurs du monde: car il ne suffit pas de portes fermées pour les empêcher d'envahir toute chose.
C'est encore une fois la voix d'Anne, Anne Frank, qui nous arrive par des chemins différents: cette fois ella a été filtrée par la sensibilité de deux artistes exceptionnels, tels que Irène Cohen-Janca et Maurizio Quarello. En changeant la perspective d'une histoire bien connue, ils nous la rendent encore plus riche, plus émouvante.
L'immobilité dont le marronnier est forcé est la même qu'emprisonne Anne: obligés de se regarder l'un l'autre, narrateur et protagoniste se dévoilent à nos yeux dans toute leur condition. Il n'y a aucune action qu'ils peuvent accomplir afin de changer leur état, le seul agir possible demeure dans le pouvoir du regard, dernier rempart de liberté.
L'arbre est malade, il va sans doute mourir, c'est la raison pour laquelle il décide de raconter ce dont il fut témoin. Anne est prisonnière, elle sera découverte et transportée dans une nouvelle et bien plus triste prison. Anne aussi va mourir, nous le savons déjà.
Et alors, pourquoi raconter cette histoire encore une fois? Qu'est qu'on nous dit de nouveau? Tout et rien: rien parce que nous connaissons déjà les vicissitudes d'Anne Frank, tout car les raisons mêmes de la vie humaine sont l'expérience, le témoignage et la mémoire.
Le petit greffon pris du marronnier au numéro 263 Canal de l'Empereur deviendra un nouvel arbre, mais pas un arbre quelconque: ce sera le marronnier de la mémoire.
(image non disponible)
"L'albero di Anna", texte d'Irène Cohen-Janca, illustrationis de Maurizio A.C. Quarello, traduction du francais de Paolo Cesari, Orecchio Acerbo Éditeur, 2010.
Publié en origine sous le titre: "Les arbres pleurent aussi", pour les Éditions du Rouergue, 2009.
Je voudrais que chaque enfant ait ce livre dans sa petite bilbiothèque: c'est un chef d'œuvre de poétique et d'images difficilement égalable. Les textes d'Irène Cohen-Janca nous transportent d'une tendresse infinie à travers l'histoire, sans jamais de fléchissements. Les illustrations de Maurizio Quarello la dévoilent avec vibrante sensibilité, confirmation de son talent incroyable et de sa versatilité.
Un remerciement spécial aux teams d'Orecchio Acerbo et du Rouergue pour m'avoir permis d'utiliser les images dans ce post et, encore une fois, à Orecchio Acerbo pour avoir publié en Italie un chef d'œuvre d'oltralpe.
Copyright© texte et images Éditions du Rouergue, 2009. Orecchio Acerbo Éditeur 2010. Les images ont ete reproduites avec la permission de l'Éditeur.
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