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mardi 22 février 2011

Les gagnants du Bologna Ragazzi Award 2011

Voici les gagnants de l'édition 2011 du Bologna Ragazzi Award pour Bologna Children's Book Fair:


FICTION

ÉDITIONS MILAN - Toulouse, France
FABLES textes d'Esope, adaptation de Jean-Philippe Mogenet, illustrations de Jean-François Martin


Les Mentions Spéciales ont été assignés à:

HYACINTHE ET ROSE, textes de François Morel, illustrations de Martin Jarrie, ÉDITIONS THIERRY MAGNIER - Paris, France

THE IRON MAN, textes de Ted Hughes, dessins de Laura Carlin, WALKER BOOKS - London, United Kingdom



NON FICTION

CHANGBI PUBLISHERS - Paju, Republic of Korea
A HOUSE OF THE MIND: MAUM textes de Kim Hee-Kyung, illustrations d'Iwona Chmielewska


Les Mentions Spéciales ont été assignés à:

CO Z CIEBIE WYROSNIE? textes et illustrations par Aleksandra Mizielinska, Daniel Mizielinski, DWIE SIOSTRY - Warsaw, Poland

THE STORIES SHOULDN’T BE TRUE, textes et illustrations par Gang GyeongSu, SIGONGJUNIOR - Seoul, Republic of Korea



NEW HORIZONS 
 
COSAC NAIFY – São Paulo, Brazil
MIL-FOLHAS – HISTÓRIA ILUSTRADA DO DOCE textes de Lucrecia Zappi, graphic design par Maria Carolina Sampaio


Les Mentions Spéciales ont été assignés à:


A JANELA DE ESQUINA DO MEU PRIMO, textes de E.T.A Hoffman, illustrations de Daniel Bueno, COSAC NAIFY – São Paulo, Brazil

UN DÍA, textes et illustrations de Chiara Carrer, PETRA EDICIONES – Zapopan, México



 
PREMIER ALBUM
 
ÉDITIONS MeMo - Nantes, France
MONSIEUR CENT TÊTES textes et illustrations de Ghislaine Herbéra, déjà assignataire su Prix Premier Album su dernier Salon de Montreuil.


Les Mentions Spéciales ont été assignés à:

DIAPASON, illustrations de Laëtitia Devernay, LA JOIE DE LIRE - Geneva, Switzerland dont je vous avais brièvement parlé ici.

SŁONIĄTKO/FANTJE, textes par Adam Jaromir, illustrations de Gabriela Cichowska, MUCHOMOR - Warsaw, Poland/GIMPEL VERLAG - Hannover,Germany

 
Vous pouvez trouver les motivations du jury et beaucoup d'autres renseignements ici.

lundi 21 février 2011

Les Cygnes Sauvages - Editions Notari et Topipittori

Les Cygnes Sauvages de Hans Christian Andersen, illustrations de Joanna Concejo, traduction en italien par Maria Giacobbe, Editions Notari et Ed. Topipittori, février 2011

A chaque fois que je tiens dans les mains un livre illustré par Joanna Concejo mes poignets tremblent pour l'émotion, pour autant que ses images m'arrivent directement au cœur sans filtres ni inhibitions. C'est au delà de mon contrôle, une vague émotionnelle m'engloutit totalement et me laisse à bout de souffle, comme si toutes les mémoires les plus belles et mélancoliques sortaient en même temps de leurs tiroirs ordonnés et se mettaient à danser dans mon corps.

Quand j'ai su que Giovanna et Paolo, les Topi, lui avaient confié l'un des textes les plus beaux et inaccessibles d'Andersen j'ai réjoui profondément, et non plus pour un instinct sadique: c'était l'une des histoires que ma grande mère me racontait le plus souvent, et j'étais impatiente de me pouvoir plonger dans l’interprétation que Joanna en aurait donné.

Ce n'est pas facile de se confronter avec un classique, et encore moins si le classique est signé Hans Christian Andersen, car la complexité psychologique de ses contes est lourde, car rendre ses atmosphères mélancoliques et poétiques est extrêmement difficile, car la dureté de ses histoires parait parfois sans espoir (je me souviens encore de l'angoisse éprouvée lorsque, enfant, je lus La Petite Sirène). Ce n'est pas simple de donner expression à une âme autant raffinée et inquiète.


Ce conte, en particulier, est extrêmement complexe, car il représente la chute du paradis enfantin ver l'abîme qui souvent s’accompagne à l'adolescence, entre désillusion et incapacité de communiquer, entre la perte des affections les plus chères et la tentative désespérée de les ramener à soi.

La protagoniste, Elisa, est seule. Abandonnée à elle même, chaque moment de son existence s'écoule dans le souvenir de ses frères autant aimés, qu'elle ne retrouvera qu'adulte, et des instants passés avec eux. Comme dans toutes les fables de respect, partisane de la chute est la méchante belle-mère qui éloigne les fils de leur père en les condamnant à un silence imposé, par la métamorphose en cygnes dans le cas des frères et par l'éloignement forcé dans le cas d'Elisa.


Elisa est davantage un enfant, et ensuite une jeune femme, aux grandes vertus, comme il convient aux classiques héroïnes des contes: belle, aimable, à la fois religieuse inébranlable, elle confie son destin et celui de ses frères-cygnes à la miséricorde divine, en suivant avec rigueur les préceptes qu'on lui donne sans jamais douter, sans aucun affaissement. En dépit des souffrances physiques, provoquées par les orties qu'elle doit filer afin de fabriquer les chemises qui dissoudront l'enchantement de la sorcière-belle-mère, en dépit de tous les risques qu'elle court, la jeune femme achèvera sa tache en assurant à ses frères et à elle même l'autant soupiré joyeux finale.


Joanna en a donné une interprétation magnifique, pleine de  renvois symboliques et de moments élevés. Ses illustrations ressassent la solitude d'Elisa dans plusieurs manières, comme dans le cas de l'illustration ci dessus, où les orties forment une sorte de cadre/prison isolant la belle princesse du reste du monde:


Cueillie le dos tourné, baissée sur son travail, la jeune femme parait une brindille pliée au changements de la vie: elle ne s’adresse pas à nous qui l'observons, elle ne peut pas parler, ou ses frères aimés mourront.

Mais je veux ramener votre attention sur la première image de ce billet, sur cette table spéculaire où le profil d'un cygne est peint, car cette illustration évoque avec puissance l'idée de présence/absence des frères: à la gauche le cygne est représenté en guise de fantôme, seulement vaguement amorcée, et la petite figure lointaine, aussi petite qu'un brin, représente Elisa rodant sans destination, à la recherche de ceux qu'elle perçoit sans voir; à la droite du cygne il ne reste que le négatif de la silhouette, presque à en souligner la distance, l'inaccessibilité, le manque.

L'absence, avec le désespoir de ne pas pouvoir terminer sa tache de tisser les onze chemises, est reprise aussi dans cette image


où, à une partie plus descriptive où l'on voit des minuscules chevaliers galoper en direction du château du Roi (qui a décidé de prendre Elisa avec lui et de la marier), s'oppose avec force l'image de la jeune femme, sur la gauche, visiblement désespérée, dont l'image est parfois éclipsée par ces disques brodés, transparents, qui apparaissent aussi dans les gardes du livre. La présence de ces objets semble souligner la sensation de vide qui se crée dans la jeune fille dans le moment où elle est séparée de ses frères, son corps en sort mutilé, effacé, et en même temps la forme en disque et la disposition en vol que l'illustrateur en donne, rappellent l'idée du voyage et de l'état provisoire de la situation.

Dans la dernière image que je vous propose, encore une fois Elisa nous tourne le dos, encore une fois elle nous apparaît en solitaire héroïne, encadrée par la foule qui, entre colère et incrédulité, l'assiège


Seuls bénins gardiens les petits oiseaux, qui observent la scène à la distance, comme à vouloir symboliser le regard bienveillant du ciel.

Notez enfin la merveilleuse harmonie des tables à pastel de Joanna, l'équilibre dans l'utilisation de la couleur, la finesse du trait.

Remarquable la traduction par Maria Giacobbe.

Ce livre ne coûte pas la "moitié du royaume", il ne coûte même pas vaguement  autant que le précieux livre d'Elisa, pourtant, si je vous ai inspirés assez, je vous suggère de visiter votre librairie ou de contacter les Editions Notari pour la version française du livre.






Copyright© texte et images, Ed. Topipittori 2011. Les images ont été reproduites avec la permission de l'éditeur, toute reproduction étant sévèrement interdite.

mardi 15 février 2011

Le Géant - L'Atelier du Poisson Soluble

Le Géant de Nicolas Thers, L'Atelier du Poisson Soluble, mai 2010


"Maman et moi avons décidé d’adopter un Géant! C’est mieux d’être trois pour regarder les étoiles."

Ainsi commence le nouveau livre de Nicolas Thers pour les poissons solubles de France: Le Géant.

Titre et couverture sont déjà tout un programme: un géant, celui représenté, qui ressemble très peu à Polyphème ou aux méchants géants de Roald Dahl, il n'y a aucune trace de mémoires Rabelaisiennes dans ce très grand titan, dominant c'est plutôt l'aspect du jeune entrepreneur, du médecin, du fonctionnaire de banque. Un véritable mastodonte urbain, en veste et chemise blanche.

Et pourtant il est bien géant, aucun doute!

Quand j'ai vu ce livre pour la première fois j'ai été immédiatement frappée par l'utilisation de la couleur et la qualité des images, plutôt inusuelles et pourtant totalement captivantes. L'impacte visuel a été tel que, pour un tout premier moment, le message du texte est passé en arrière plan.

Mais, avant de passer aux images, j'ai bien envie de parler du message de ce livre car il traite un thème très actuel concernant beaucoup de familles, résultant soit d'une séparation ou d'un veuvage, qui se démontent pour enfin se reformer autrement.

La voix narrant de l'histoire est celle d'un enfant qui nous raconte de comment elle et sa maman ont décidé d'adopter un géant, justement. Il parait qu'il y a des très bonnes raisons pour en adopter un, et l'explication est abondamment détaillée.
















Certes que, en présence d'un être aussi grand, il est bien normal de se sentir effrayés et peut-être un peu appréhensif aussi, au moins au début mais puis, si le colosse est bien gentil, s'il nous ramène quelques cadeaux et il nous recouvre d'attentions, s'il nous permet de l'explorer un peu et il se prends soin de nous, alors l'on finit inévitablement pour être amis.

Je me suis bien amusée en observant comment l'auteur nous expose ce jeu de rôles géant/enfant, un jeu où le troisième caractère - c'est à dire la mère - n'est qu'accidentel au but de la narration, car elle apparaît seulement dans la phrase que j'ai mise au début de ce billet et, en plus, elle n'est jamais représentée dans les images.

Le livre est entièrement joué autour du progrès, lent et constant, de l'approche entre les deux: naturellement images et texte secondent totalement la vision de l'enfant en accentuant d'abord ses peurs, qui se réalisent dans la représentation du géant dans toute sa présence imposante et de l'enfant rendue presque invisible (voir l'image en haut), pour ensuite passer à la graduelle acceptation de l'homme, qui correspond avec le lent rajustement des deux personnages jusqu'à obtenir une retrouvée dimension d'adulte pour le géant et une raisonnable dimension physique d'enfant pour la fillette (voir les images de suite).

















Comme je le disais, ce procédé de récupération des réelles dimensions des personnages, avec le conséquent changement d'équilibres dans primitif jeu de rôles, se développe à travers le lent et patient approche physique des deux: l'enfant, qu'au début du livre n'était qu'une petite tache de couleur à la distance, prend de plus en plus substance dans le moment où elle se rapproche du géant, presque à signifier que l'agrandissement d'un être humain peut arriver seulement dans le moment où il se met en relation avec ceux qui l'entourent.


Pour ce qui tient les images, Thers s'est bien amusé avec le photomontage retravaillé à la palette graphique, les couleurs sont nettes, simples, immédiates. Comme je vous le disais auparavant, les tableaux sont entièrement joués sur un habile et audacieux jeu de perspectives, le décor urbain, futuriste presque, confère aux images une touche de surréel qui bien s'accompagne avec l'improbable situation du départ. Dans un futur pas trop loin les géants sortiront de leurs cachettes pour devenir des copains et des papas.

Un bel album illustré, parfaite identification avec l'imaginaire enfantin et synthèse positive des mécanismes des familles modernes.



 


Copyright© texte et images L'Atelier du Poisson Soluble, 2010. Les images ont été reproduites avec la permission des Éditeurs, toute reproduction étant interdite.

mardi 8 février 2011

El Tren - OQO Editora

El Tren, de Silvia Santirosi, illustrations de Chiara Carrer, OQO Editora, février 2011

Quand Silvia m'a annoncé la sortie de son premier livre, en plus de la joie de la voire couronner un si beau rêve, j'ai immédiatement pensé que j'aurais eu des belles surprises, et je n’ai pas eu tort. Du reste, je ne m'attendais rien moins d'une personne de son intensité.

Dans cette histoire poétique, rendue encore plus profonde par les merveilleuses illustrations de Chiara Carrer, Silvia nous parle d'un thème difficile et pourtant elle ne choisit pas des échappatoires faciles, au contraire elle prend le chemin le plus hérissé, elle met du sel sur les blessures, elle montre dans tout son déchirant pouvoir la force de la douleur: El Tren c'est l'histoire d'un enfant et de son père, l'histoire d'un trio resté manchot d'une partie vitale, la mère, l'histoire racontant de la tentative de combler un vide qui devient précipice ruineux.

Un père et son enfant, seuls, observant les étoiles et un nouveau point lumineux, lointain. Un petit point que par moments parait si prêt qu'on pourrait le toucher, la main tendue dans le vide. Et après, dans le silence de l'attente, une voix d'enfant qui raconte un rêve récurrent: il y a un train qu'il faut prendre et pourtant, nonobstant tous les efforts, il part solitaire laissant la petite accablée sur le quai de la gare.


Dans l'alternance entre la narration du rêve et des gestes de vie quotidienne, nous assistons à la dissolution de la douleur, à la métamorphose qui rend l’ineffable plus concret et le réel moins défini, peut-être moins définitif aussi. Le père écoute, avec patience, intrigué et désarmé en même temps, il perçoit toute la difficulté enserrée dans ce rêve qui se répète, auquel aucun des deux peut donner une réponse.

" Come posso dirti che le persone che amiamo muoiono, ci lasciano e vanno via?" * se demande le père. Peut-être qu’il n'y a pas une manière, peut-être que chacun doit trouver sa manière, où l’on racontera simplement une autre histoire, comme celle d'un homme aveugle qui demande à son voisin de lui raconter la couleur blanche...


et dans l'acte de partager, tout pourra changer encore une fois


J'aime en particulier la manière dont le texte rend la simplicité d'une conversation entre père et fille, de comment les gestes les plus simples peuvent laisser la place à des instants plus hauts: sans jamais perdre de vue le thème central du livre, l'auteur nous fait part de la vie qui s’écoule, poursuivant imperturbable ses rythmes et ses logiques.

La narration de Chiara Carrer ajoute, soupèse, émeut, interprète ce beau texte d'une manière, à mon avis, sublime. Comme je le disais auparavant, l'histoire est fondée sur un double registre de lecture alternant rêve et réel, émotion et geste, raison et sentiments et, pour cette dichotomie aussi difficile à représenter, Chiara trouve une clef interprétative désuète si l'on regarde ses œuvres précédentes (même si nous pouvons déjà retrouver beaucoup de germes de ce dernier travail dans d'autres œuvres aussi): tandis que le réel a une forme plus graphique, le côté onirique a une forme picturale, vous voici un exemple


dans le moment du rêve, et probablement à niveau psychologique dans celui de la douleur aussi, le trait se voile pour laisser la place à la matière de la couleur, le tableau est encré presque à devenir tache pour donner voix à ce qu'on ne peut pas expliquer autrement; dans le moment où le conte reprends, les brouillards de la couleur se dissipent pour laisser la voie au trait retrouvé.


Tout est révélé dans l'image spéculaire ci dessus, tournant de la narration par images, en tant que représentation du moment où rêve et réel se touchent pour la première fois: sur la gauche l'enfant est représentée dans le moment du rêve, presque prochaine au réveil comme nous le pouvons bien comprendre par la définition plus ponctuelle de sa figure par rapport à l'image précédente, sur la droite elle est représenté dans le moment où elle demande à son père ce que ce rêve pourrait signifier. La pose identique de la petite, le regard réflexe de l’émotion et de la douleur exprimés dans cette image, la couleur et son absence, racontent d’un moment profondément symbolique convergeant dans l'absence de réponses concrètes et dans la nécessaire acceptation de la réalité.

A partir de ce moment commence le chemin de père et fille vers un nouveau jour...


un jour où il nous suffira de tendre la main pour toucher les étoiles que nous aimons...


Je fais mes meilleurs vœux à ce beau livre, qu'il puisse trouver place dans plein de maisons, et mes félicitations à l’éditeur (aussi) pour le courage et le professionnalisme avec lesquels il traite des thèmes aussi difficiles, sans jamais reculer.


* " Comment pourrais-je te dire que les personnes que nous aimons meurent, qu'elles nous laissent et s'en vont?"

Copyright© texte et images OQO Editora, 2011