Eh bien, suite aux autres interviews que j’ai faites avec quelques enseignants d’Ars In Fabula, j’ai eu la chance d’interviewer Maurizio aussi, même si ce n’était pas à Macerata (dont le titre de ce billet). Bien que je n’étais pas entourée par les familiers perrons de Macerata, nonobstant l’absence de cette atmosphère enchantée qui règne dans la ville des Marche, je dois dire que faire la connaissance de Maurizio a tout de même comblé quelconque manque éventuel. En effet Maurizio, en plus d’être l’illustrateur qu’il est, est une personne très sympa aussi, capable de te mettre à l’aise sans trop de cérémonies. Rien ne paraît échapper à son regard perçant, pas un geste ou un mouvement et, en même temps, j’ai eu la sensation que tous les renseignements qu’il enregistre sont attentivement pondérés et classés, pour une éventuelle successive utilisation. Cet air méditatif, que de temps en temps paraît entièrement l’absorber, s’accompagne d’un esprit jouisseur et badin . Du reste, pour le comprendre pleinement, il suffit d’observer ses livres dès près.
Afin de mieux découvrir ce beau personnage, il vaut mieux passer à l’interview!
1 - Présentation personnelle
- Maurizio, y a-t-il un lieu spécial de ton enfance, un endroit auquel tu te sens lié même aujourd’hui?
Oui, c’est la maison de mes grands-parents en Monferrato. C’était la dernière maison du pays, avec des bois tout au tour, et naturellement notre passe-temps préféré c'était d’explorer les bois et les maisons abandonnées de la région.
Les Arbres Pleurent Aussi, Ed. Rouergue
- enfant, était-tu un bon lecteur? Dans ce cas quelles étaient tes lectures d’habitude?
Je lisais surtout des contes et j’aimais ceux avec les ogres, les diables et les sorcières.
- quel est, s’il y en a, le premier livre dont tu te souviens?
Les premiers livres dont je me souviens avec netteté sont les « légendaires » Quindici. Un autre livre essentiel c’était "L'île au trésor" qui est l’un des livres que je continue à préférer.
- peux-tu nous raconter tes souvenirs liés au dessin?
J’ai découvert que j’aimais dessiner la dernière année d'école maternelle, je ne voulais jamais m'arrêter. Je dessinais des monstres, des chevaliers médiévales et des animaux, des aigles en particulier.
Croquis pour Barbe Bleue
2 - Le parcours vers l'illustration
- Quelles études as-tu fait?
Au lycée j’ai étudié graphique publicitaire, c’étaient des temps assez différents: on bossait en se basant sur les règles du Bauhaus, on dessinait encore le lettering à la main (!!) l’étude de la composition était essentiel, tout ce qui m’est très outil maintenant aussi. Après j’ai fait quelques années à l’Université, en Architecture, mais je n’ai pas pris de diplôme car je n’arrivais pas à passer les examens scientifiques. Mais je dois aussi avouer que ces études se sont révélés très outils après, dans mon métier d’illustrateur. Ensuite j’ai fait le Ied [Ndr. Institut Européen de Design] et fréquenté quelques cours d’illustration.
Storyboard de Barbe Bleue n. 1
Storyboard de Barbe Bleue n. 2
Storyboard de Barbe Bleue n. 3
- quand as-tu compris que tu aurais voulu devenir illustrateur?
En réalité je crois l’avoir toujours su, dès que j’étais enfant je souhaitais faire un métier ayant à faire avec le dessin. Ensuite, lorsque j’ai découvert l’édition pour enfants "à la Douzou" " je n’ai plus eu aucun doute que mon parcours devait être celui-ci.
- quels ont été tes premiers pas dans cette direction?
Je pense ce que tout le monde fait : plein d’entretiens à la foire et dans les agences de publicité, beaucoup de concours et, enfin, les premiers projets publiés.
- y a-t-il eu des moments difficiles? Dans ce cas, comment vaincre les difficultés?
Ah oui, il y en a eus ! Après un an passé à dessiner, en préparant des projets qu’aucun éditeur ou directeur artistique voulait (sans en tirer un sou là dessus) j’avais pratiquement décidé de laisser tomber et de chercher un « vrai boulot ». Et puis, soudain, tout a changé, dans un mois j’ai su que j’aurais publié trois livres et dès ce moment ça a été un parcours tout en descente. Je crois que la seule manière de vaincre les difficultés c’est de travailler très dur, il faut être têtu et ne se laisser jamais aller aux premières difficultés.
3 - In-Depth sur l'illustration
- y a-t-il des maîtres de l’illustration ou de la peinture, qui t’ont particulièrement inspiré dans les années?
Je devrais faire une liste infinie ! Pour les illustrateurs je me limite è mentionner les deux, à mon avis, les plus grands: Wolf Erlbruch et Michael Sowa. Si je dois nommer quelques-uns des grands Maîtres de la peinture qui m’ont inspiré (disons bien que je les ai plagiés sans pudeur) je peux dire: Bruegel, Bosch, Rosso Fiorentino, Giorgione, Grunewald, Leonardo, Friedrich, Dix, Grosz, Hokusai, Warhol, Goya, Degas, Hopper et dieu sait combien d’autres.
- de quelle manière les "autres" arts visuels rentrent-elles ton imaginaire, en admettant qu’elles en ont une?
Le grand cinéma a certainement une grande influence sur mon travail. Je regarde plein de films et ensuite il est naturel que je déverse tout cela dans mes illustrations. Il y a pourtant les coupes et les cadrages, les lumières, les couleurs et les personnages que je vois sur l’écran qui passent dans le papier.
Storyboard de Barbe Bleue n. 4
Storyboard de Barbe Bleue n. 5
- tes illustrations sont extrêmement variées, tu passes d’un registre illustratif à autre avec une grande aisance et avec des résultats surprenants, y a-t-il un style qui t’appartient davantage?
Je ne sais pas dire. Je dirais qu’il n’y a pas un style spécifique, être « reconnaissable » ne m’intéresse pas vraiment, et l’idée de faire toujours les mêmes choses me fait horreur. Je dirais que j’ai la tendance à avoir une approche grotesque et/ou ironique.
- et une technique d’illustration que tu préfères?
L’acrylique peut-être, bien qu’utilisé en plusieurs manières. Dernièrement j’ai aussi utilisé d’autres techniques telles que l’encre de chine, le crayon et l’huile et, je dois l'admettre, je me suis bien amusé. Mais si tôt que possible je voudrais faire des livres en xylographie et collage. Bon, j’en n'ai pas encore terminé!
Les Arbres Pleurent Aussi, Ed. Rouergue
- lorsque tu commences un nouveau projet, est-ce que tu suis un schéma précis ou plutôt tu te laisses transporter par l’inspiration?
Le premier impact pour moi est essentiel, un texte me doit donner tout de suite "la décharge", des images doivent se former aussitôt dans ma tête, des rapprochements de couleurs doivent naître et es personnages se doivent matérialiser.
Ce que je veux dire, enfin, c’est que le livre pour moi naît dans l’espace de cinq minutes ou à jamais.
Les Arbres Pleurent Aussi, Ed. Rouergue
- quel est, à ton avis, le défi le plus grand qu’il faut affronter afin d’illustrer un texte?
Arriver à trouver un point d’équilibre entre les mots et les images. Il y a des textes qui doivent être accompagnés par des images "en sourdine", d’autres (peut-être un peu plus faibles) qui doivent être soutenus et enrichis par l’illustrateur, il y a des fois où il est correct d’être un peu plus didactiques d’autres où il faut être décidément plus courageux dans la représentation de son point de vue.
- combien pèse-t-il le non dit dans l’illustration?
Beaucoup. Il est essentiel de faire allusion, de laisser deviner, de raconter même par symboles et renvois extérieurs.
- et l’espace blanc?
Énormément. Et dans la table et dans l’économie générale d’un livre. Il faut donner souffle et rythme, et l’alternance entre pleins et vides est l’instrument le meilleur pour l’obtenir.
4 - Tes derniers livres Barbe Bleue, Effets Secondaires et...
- j’ai eu la chance de parler de ta splendide version de Barbe Bleue, publiée par Milan Jeunesse. Il y a, dans tes illustrations pour ce texte plus qu’autre part, une qualité que j’oserai définir filmique, dans les cadrages, dans le mouvement que tu donne aux images. Suis-je correcte en le définissant un album en mouvement?
Oui c’est bien correct, ce livre plus que les autres doit beaucoup à ma passion pour le cinéma. J’ai utilisé plusieurs expédients cinématographiques, par exemple le contrechamp, afin de faire entrer le spectateur dans le livre.
Images tirées de Barbe Bleue, Copyright Milan Presse
- l'autre élément qui m’a frappé relativement à Barbe Bleue c’est l’utilisation de la couleur, ainsi que certaines reconstructions et les jeux de lumière que j’appellerais presque "Hopperiennes".
Hopper est l’un des maîtres que j’admire le plus et que je cite souvent dans mes livres. L’utilisation qu’il a de la couleur et la théorie des hombres qu’il a construite me fascinent énormément, je continue à étudier ses œuvres et je cherche de donner mon interprétation afin d’enrichir mes illustrations.
Image tirée de Barbe Bleue, Copyright Milan Presse
- certains des paysages me font aussi penser aux grands peintres romantiques de Grande Bretagne...
A vrai dire je me suis surtout inspiré au Romantisme allemand, et à Friedrich en particulier, et encore à Degas et encore des photos d’Atget.
Image tirée de Barbe Bleue, Copyright Milan Presse
- Après Barbe Bleue il y a eu Effets Secondaires, pour le Rouergue, avec un registre narratif totalement différent, combien conte-t-il pour toi de changer d’atmosphères? Passer du poétique au surréel?
Je dois admettre que pour moi il est fondamental de ne pas m’ennuyer, c’est aussi une bonne raison pour illustrer des textes et des thèmes différents car cela me force à me remettre en jeu, à expérimenter des nouvelles solutions et techniques. Et je continue à m’amuser.
Image tirée d'Effets Secondaires, Editions Rouergue
- dans Effets Secondaires tu as un style presque en bande dessinée, qu me fait penser un peu à Tintin pour certains aspects, pour l’utilisation du trait même si tu le "salis", pour le personnage à la mèche proéminente. Peux-tu nous dire quelque chose à propos de cet album dont tu es aussi l’auteur?
Et, en effet, j’aime beaucoup Tin Tin! J’ai voulu jouer un peu avec la manière de l’école franco-belge en travaillant sur le trait et les aplats. L'idée pour le texte, très simple à vrai dire, est née par hasard, le long d’un bavardage à propos de l’abus sur les médicaments. La structure est celle classique de la répétition avec la narration terminant avec le retour au point de départ.
Images tirées d'Effets Secondaires, Editions Rouergue
- Je sais que pour Orecchio Acerbo , tu es en train de travailler sur un projet inspiré à l’histoire de Rosa Parks. Peux-tu nous raconter quelque chose à ce propos?
Depuis quelques temps avec un ami écrivain, Fabrizio Silei, on pensait faire un livre ensemble, le long d’une foire il me parle soudain d’un texte sur Rose Parks et j’en suis fasciné tout de suite. Après cinq minutes je rencontre Fausta Orecchio qui me dit qu’il était bien le moment de faire un autre livre ensemble, je lui parle immédiatement de l’idée de Fabrizio et, presque à l’instant, sans même un texte définitif à la main, nous décidons de le faire. Tout cela dans moins d’un quart d’heure. Parfois les livres naissent ainsi, sous la bonne étoile. En effet il y a déjà plusieurs coéditions en programme et l’album va sortir en contemporain dans plusieurs pays.
Comme il se passe dans deux moments historiques différents, les années cinquante et le présent, nous avons décidé, je dirais avec pas mal de courage, d’alterner la couleur avec le noir et blanc. Nous découvrirons si notre choix était bon lors de la publication, en fin d’année.
Avant-première du livre dédié à Rosa Parks, en sortie pour Orecchio Acerbo, courtoisie de l'éditeur.
Avant-première du livre dédié à Rosa Parks, en sortie pour Orecchio Acerbo, courtoisie de l'éditeur.
- dès Anne Frank à Rosa Parks, deux héros importantes de l’histoire moderne : y a-t-il un fil qui lie ces deux personnages dans ton interprétation?
Le lien, la clé de lecture, en réalité m’a été donné par les écrivains car, les deux histoires, ont été racontées en partant d’une visuelle extérieure et avec une distance de temps. Dans le cas de Les Arbres Pleurent Aussi l’écrivain, Irène Cohen-Janca, a choisi comme narrateur le marronnier du jardin d’en face à la cachette secrète d’Anne, tandis que Fabrizio a décidé de faire raconter l’histoire à un vieil homme noir qui était présent sur le bus lors du fameux "non" de Rosa Parks et qui, après des années, raconte les événements dont il a été témoin à son grand-fils. Tous les deux textes étaient magnifiques et très importants, je me suis donc limité à les accompagner avec mes illustrations, en essayant de laisser le plus d’espace possible aux mots.
Les Arbres Pleurent Aussi, Ed. Rouergue
- Projets futurs?
Cette année j’illustrerai Pinocchio pour Milan, il s’agit d’un projet qui m’attire beaucoup. Et puis il y a plusieurs idées dans l’air, un album sans texte, un nouveau livre avec Irène et, peut-être, un livre dont je suis aussi l’auteur mais pour le moment ce n’est qu’un projet.
Ensuite j’aimerai illustrer "L'île au trésor" ou "Docteur Jekyll et Mister Hyde" de Stevenson ou "Le chevalier sans tête" d’Irving pour quelques Editeurs américain peut-être, qui sait. Dernière chose : je voudrais essayer de bosser un peu sur un roman graphique.
Le Pivot Questionnaire de Seven Impossible Things Before Breakfast:
7-Imp: Quel est ton mot préféré?
J'aime les noms scientifiques des insectes car ils sonnent bien, par exemple: Saldula saltatoria, Valucella bombylans, Laccophilus minutus etc.
7-Imp: Et celui que tu aimes le moins?
Je déteste entendre l'expression "ressources humaines" à la place de "êtres humains"
7-Imp: Qu'est-ce qui allume ta créativité, spiritualité ou émotivité?
Le défi.
7-Imp: Qu'est-ce qui t'étend?
La banalité et le politiquement correcte.
7-Imp: Quel est ton gros mot préféré?
Fanculo! = Vas te faire f…
7-Imp: Quel est le son ou bruit que tu aimes le plus?
Le ruisseler d’un fleuve.
7-Imp: Lequel tu détestes?
Les sonneries des portables.
7-Imp: Quelle profession, exception faite pour la tienne, voudrais-tu expérimenter?
Le chef.
7-Imp: Lequel tu ne voudrais jamais faire?
Le mineur.
7-Imp: Si le paradis existe, qu'est-ce que tu voudrais que Dieu te dise lors de ton arrivée?
"A la table, le déjeuner est prêt!"
Un merci spécial, pour m'avoir permis d'utiliser les images dans ce post, va aux éditeurs: Milan Presse, Editions du Rouergue et Orecchio Acerbo. A Maurizio Quarello un grand merci pour la gentilesse, la disponibilité et la sympathie, et néammoins pour m'avoir permis la publication du Storyboard de barbe Bleue.
*Les Arbres Pleurent Aussi, publié par Le Rouergue en France et par Orecchio Acerbo en Italie, a obtenu plusieurs reconnaissances pour la valeur artistique et pour l'importance du message dont il est merveilleux témoignage. Les tableaux de Maurizio ont été en exposition près le Musée de la Shoah de Venezia dès la moitié de Décembre 2010 à la moitié de Janvier 2011.
Copyright© texte et images comme indiqué. Les images ont été reproduites avec la permission des Éditeurs, toute reproduction étant interdite.
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