Aujourd'hui j'ai le plaisir d'avoir sur mon blog Sara Gavioli, illustratrice à sa première publication avec l'éditeur Orecchio Acerbo. Et je dis Orecchio Acerbo!
J'ai rencontré Sara à Bologna, pendant les jours de la Foire, et j'ai aimé tout de suite cette silhouette mince et pleine d'énergie qui se cachait derrière les fantastiques tableaux de La Governante. Si jamais vous la rencontrez, ne vous laissez pas tromper par son aspect, car Sara est une personne vigoureuse et pleine de surprises.
Mais assez de potins, temps de lui poser quelques questions...
Partons avec quelques renseignements personnels:
- quel âge as-tu? 26
- tu es née à? Carpi*
- où vis-tu? Carpi
- peux-tu m'indiquer ton blog/site internet? Pour le moment il n'y a que le blog http://saragavioli.blogspot.com/
- enfant, étais-tu un bon lecteur? Aux écoles primaires j'au eu un maître exemplaire qui m'a appris à aimer les livres du départ, j'ai pourtant bientôt commencé à lire toute sorte de livre.
- quels auteurs lisais-tu d'habitude? J'ai littéralement dévoré tous les livres de Bianca Pitzorno, Roald Dahl et Christine Nöstlinger, suivis par la série de Le petit vampire par Angela Sommer Bodenburg.
- quel est le premier livre dont tu gardes encore mémoire, s'il y en a un? Le premier livre dont je me souviens, très probablement car c'était mon préféré à l'époque, est Trumpets In Grumpetland de Dallas-Smith Peter et Cross Peter (pour ne pas parler de la série I Quindici**), mais le premier livre que j'ai lu toute seule fût La casa sull’albero de Bianca Pitzorno. Je me souviens avoir coloré avec soin toutes les charmantes illustrations de Quentin Blake. Je ne sais pas pourquoi, mais je les imaginais très colorées, je ne voulais pourtant pas qu'elles restent en noir et blanc.
Le début de ton parcours dans le monde de l'illustration:
- comment est commencée ta passion pour l'illustration?
Ma passion pour l'illustration naît dès que j'étais petite: lorsque j'écoutais ma grand-mère et mes parents qui me lisaient I Quindici, j'en fixais les images complètement extasiée. Je me souviens encore de cette odeur particulière des pages, typique de I Quindici, que je n'ai jamais su retrouver dans les autres livres, c'est la même odeur que je cherche chaque fois que je prends un livre dans les mains.
- quand as-tu compris que tu voulais faire ce métier?
Métier est un mot très important, pour le moment je peux affirmer que c'est une grande passion. Je n'ai jamais arrête d'être fascinée par les livres jeunesse, même quand j'avais arrêté d'en lire, j'étais à la recherche de ces sensations de plaisir totalisant que j'éprouvais lorsque j'étais enfant. Je n'ai jamais arrêté de dessiner non plus, j'ai toujours essayé de poursuivre sur ce chemin. Le fait de continuer dans le parcours de l'illustration jeunesse, au contraire, est venu un peu au hasard, j'avais suivi un atelier avec Eva Montanari et à la fin je me suis dite: pourquoi pas?
- je sais que tu as suivi aussi un Master en Illustration, pourrais-tu nous dire quelque chose à ce propos?
Oui, j'ai suivi un Master en Illustration de Premier niveau à l'Académie des Beaux-Arts de Macerata en 2008-2009, organisé par l'association culturelle Fabbrica delle Favole, la même association avec qui j'avais déjà participé à un atelier l'année précédente. Le Master***, de la durée d'un an, a la particularité de permettre aux étudiants travailleurs de suivre aussi les cours, car il alterne des ateliers en siège (en été) avec des leçons on-line (en hiver); ce qui est très important pour ceux qui ne peuvent pas se déplacer. En plus, le nœud central du Master consiste de la possibilité, le long du parcours, de se confronter avec un véritable projet éditorial. En effet chaque étudiant suit un projet livre assigné par une maison d'édition, il a donc la possibilité de se mettre à l'épreuve avec une vraie consigne.
- quel a été, s'il y en a jamais eu, le moment le plus difficile que tu as eu pendant le Master?
Le moment le plus difficile a probablement été l'impact avec le projet livre: centrer les personnages est le déclic qui fait partir tout le processus illustratif, mais c'est aussi le moment le plus frustrant. Après une recherche épuisante, arriver à trouver ses personnages est une conquête importante et une satisfaction indescriptible.
- et l'impacte avec les professeurs-illustrateurs c'était comment?
Avoir la chance de se confronter avec quelqu'un qui exerce déjà le métier d'illustrateur ne peut être qu’outil. J'ai fait trésor de leur expérience et j'ai posé beaucoup de questions! Celui de l'illustrateur est un métier qui se déroule dans la solitude de son atelier, la confrontation et l'échange deviennent pourtant un moment de maturation. Lorsqu'on peut observer les différents points de vue, les phases d'évolution et la variété des techniques de ceux qui exercent ce métier excellemment est très stimulant. En plus c'est une sensation bizarre quand l'on arrive à donner un visage aux histoires que l'on a lu.
En détail sur l'illustration
- pourrais-tu me raconter s'il y a un illustrateur, ou plusieurs, qui t'ont servi d'inspiration ou touché particulièrement?
Faire une sélection est vraiment difficile, j'en peux mentionner quelques-uns comme Quentin Blake, Arnal Ballester, David B, Marjane Satrapi, Elena Odriozola, Luci Gutierrez, Yoshitomo Nara, Riki Blanko mais il y en auraient encore.
- et ton peintre préféré?
Autre choix difficile: Henri de Toulouse-Lautrec, Ingres, Dal et les Surréalistes, Chagall.
- de quelle manière la peinture, et/ou les arts visuels, rentrent ton imaginaire si jamais elles y ont une partie?
Je crois que toute forme artistique est un point de départ et d'inspiration pour autre chose. La photographie, la bande dessinée, la sculpture, l'architecture, le graphique, tout nourrit son bagage visuel. Une photo pourrait devenir l'occasion pour une composition, le graphique pour des rapprochements de couleurs, une sculpture devient recherche d'une forme particulière. Personnellement, comme j'ai une bonne mémoire visuelle, je peux affirmer que souvent cette élaboration se passe d'une manière involontaire; son illustration origine aussi de ce dont nous l'avons nourrie, elle subit pourtant l'influence de tout ce que nous avons lu et vu. Un grand maître que j'ai eu, Mauizio Quarello, m'a particulièrement frappé lorsqu'il nous a dit: "Regardez autant d'expositions que vous pouvez, et vous auriez fait moitié du travail.".
- quelle technique d'illustration est-ce que tu préfères, s'il y en a une en particulier?
J'aime faire des expériences, il y en a donc plusieurs, mais je suis fascinée par les techniques d'impression, la lithographie, la linoléographie, la xylographie, la sérigraphie, la gravure, même les pochoirs obtenus des gommes.
- est-ce que tu suis un schéma précis lorsque tu commences à illustrer un texte? Par exemple tu commences avec un story-board et après tu arrives aux tableaux terminés? Où fais-tu plein de croquis pour arriver enfin à une forme plus accomplie? Enfin tu te laisses conduire par l'inspiration?
D'habitude je commence avec quelques croquis pour trouver le personnage, quand finalement je l'ai trouvé (une grande conquête) je continue avec le story-board pour finir avec les tableaux terminés. Je cherche toujours de faire un story-board le plus possible complet du point de vue de la composition, précédé par un million de croquis.
- quel est, à ton avis, le défi le plus intéressant qu'il faut affronter lorsque l'on illustre un texte?
Le défi le plus difficile, mais aussi le plus satisfaisant, est celui d'arriver à être en accord avec le texte, de s'y plonger dedans. Arriver à le rêver la nuit. Alors on sait que l'on est sur le bon chemin.
- même si tu m'as déjà partiellement répondu, j'aimerai approfondir un peu sur l'importance d'entrer l'esprit d'un texte afin de l'illustrer de manière convaincante…
Je crois que c'est fondamental pour obtenir un bon résultat. Ce que j'ai appris c'est que derrière le peu de tableaux composant un livre il y a un effort immense, comprenant l'étude de tout ce qui pourrait servir à s'approcher à l'âme du texte: par exemple en lisant des oeuvres de la même époque ou regardant les interprétations d'autres illustrateurs, jusqu'à arriver à l'étude d'intérieurs et de paysages, aux vêtements, aux photos de l'époque à laquelle on fait référence. Entrer l'esprit d'un texte demande beaucoup de patience et autant de recherche.
-as-tu jamais eu des difficultés à terminer un projet? Par exemple difficulté dans la recherche des cadrages, des couleurs ou problèmes à t'accorder avec le texte à illustrer?
Je crois que nous avons tous des difficultés en commençant un nouveau projet. Au moins, pour moi c'est habituel! Une illustration est souvent le résultat d'un raisonnement visant à accorder cadrages, couleurs et esprit, il comporte pourtant beaucoup d'application et quelques difficultés. Néanmoins, quand il y a un bon résultat la joie est quadruplée.
- comment franchir les difficultés?
Il n'y a pas de solutions pour tous, sinon ce serait trop facile! Par exemple, si nous ne sommes pas contents avec un personnage et nous nous sommes bloqués sur une image, nous pouvons essayer de la dessiner avec des techniques différents, comme en ébauchant instinctivement des taches d'encre de Chine, afin de trouver une forme moins rigide du même personnage.
- quelle est l'importance du non dit dans l'illustration?
Illustration et texte doivent de compléter parfaitement, pourtant aucun des deux ne doit taper l'autre dans la tête: chacun doit dire quelque chose complétant le discours de l'autre. Cet équilibre comprend également le non dit, ce qui pousse le lecteur à tourner la page, à être lui-même partie du mécanisme du livre, laissant à l'imagination la tâche de compléter ces manques.
- et l'espace blanc?
L'espace blanc a son importance aussi, il permet aux autres éléments de la composition de respirer, il les laisse ressortir. Ce n'est pas toujours facile de lui donner assez d'espace, pour moi au moins car, au départ, j'ai tendance à exagérer avec les détails. Une fois terminé le croquis, il faudrait se demander ce qui est vraiment important pour cette illustration, et enlever le reste.
Le projet avec Orecchio Acerbo
Le projet avec Orecchio Acerbo
- ton premier livre va sortir en juillet, pourrais-tu me raconter comment est née cette idée?
Le texte de La Governante était mon projet-livre à développer pour le Master, la maison d'édition Orecchio Acerbo m'avait assigné ce texte. A la fin de la simulation, les éditeurs m'ont contactée en disant qu'ils étaient intéressés à la publication.
- publier son premier livre avec un éditeur tel que Orecchio Acerbo doit être galvanisant, si j'étais à ta place j'aurais marché à dix mètres de hauteur pour un mois au moins, quelle était ta réaction?
Ce n'était pas trop différente de ce que tu dis. C'était déjà un honneur de pouvoir avoir un projet-livre assigné par un éditeur aussi renommé et innovateur, imaginons publier un livre. C'est un rêve qui devient réalité.
- comment a été le rapport avec les éditeurs pendant la phase créative? Vous-vous êtes confrontés souvent? Est-ce qu'ils t'ont laissé carte blanche?
La relation avec l'éditeur a été faite d'échanges mais aussi de liberté, j'ai proposé des solutions qui me paraient conformes et ils m'ont adressée et conseillé sans pourtant m'imposer leur vision, même parce que nous étions en syntonie du départ. Les éditeurs m'ont suggéré de pénétrer l'esprit du texte en laissant surfacer le coté onirique et grotesque de l'interprétation. J'ai été vraiment frappée par le soin qu'ils ont eu pour ce texte, pour l'attention minutieuse qu'ils ont dédiée aux personnages à la parfaite entente entre histoire et texte, avec ses tons absurdes et comiques.
- le texte d'Osmont est plutôt difficile, certainement raffiné, c'était comment le premier impacte avec cet auteur mystérieux et méconnu?
Je ne veux pas tricher, je ne connaissais pas l'auteur avant d'affronter ce texte, mais je l'ai trouvé immédiatement intrigant, sombre et absurde. Il avait tout le charme d'un texte d'autrefois, avec ses extravagances et son coté surréel. Au départ ce n'était pas vraiment un texte pour enfants, pour trouver la juste atmosphère j'ai lu les romans et les poèmes d'Edgar Allan Poe. En plus ce texte m'a fait souvenir de Dorian Gray d'Oscar Wilde, mais vous découvrirez pourquoi seulement en lisant le livre!
- le choix du chromatisme de cet album est absolument net: le livre est en noir et blanc (exception faite pour un rouge dont je ne dévoile pas trop), comment êtes-vous arrivés à cette décision?
Avant tout le noir et blanc a un pouvoir incroyable, il me parait que les tons noirs de l'histoire, la recostruction et l'époque fonctionnaient parfaitement avec le choix de ce chromatisme. Dans ce cas la couleur n'était que quelque chose en plus, ce n'était pas essentiel. Et les éditeurs aussi ont été d'accord avec ce choix.
- j'ai pu admirer les tableaux du livre 'live', à Bologna, et j'en suis vivement admirée. Ce qui m'a frappé c'était la coupe nette et franche de tes illustrations, combien cela est en relation avec le texte dont elles font référence?
J'ai réalisé les tableaux en pensant toujours au texte à qui elles devaient faire référence (humour noir) et à l'éditeur pour qui je bossais, qui me laissait une grande liberté expressive. J'ai cherché le plus possible de faire des illustrations en syntonie avec l'esprit du conte, capables de représenter ses tons comiques, grotesques et essentiels. Je pense que les coupes nettes sont une évolution naturelle de cette représentation.
- il y a, dans tes images La Governante d'Osmont, une évidente évocation du coté onirique (comme tu le disais aussi).. dans quelques cas elles m'ont fait penser à des images des vieux films d'Hitckcock. Est-ce que je rêve?
Dans la préparation du story-board, et pendant la réalisation, j'ai cherché tout ce qui aurait pu m'aider afin de mieux pénétrer le texte dans toutes ses nuances oniriques et de l'absurde, je pense donc que le résultat n'est que le fruit de tous les films, les livres, les bandes dessinées que j'ai dévorées dans le processus. Les excellents noirs et blancs de David B, et ceux de Satrapi, le très beau court en noir et blanc Fears of the Dark, Edward Gorey, Mattotti, Toulouse Lautrec, Degas, Ingres, Sempé, les vieilles estampes d'époque victorienne, les catalogues de vêtements et de cadres d'époque, les photos du début du XXème siècle, Hitckock, les vieux films en noir et blanc, tout ça et autre encore ont nourri mon imagination lorsque je dessinais.
Video de "Fears of the Dark"
Le futur
- ton premier livre est vraiment haute qualité, est ce que tu as peur pour le futur?
Je serai faussement effrontée si je disais que non, je pense qu'il est humain d'avoir peur lorsque l'on commence un nouveau projet, car il y en a jamais un pareil à l'autre, il faut recommencer à chaque fois. Et de toute façon, mettre en public quelque chose d'aussi intime comme son imaginaire n'est pas facile, et de temps en temps il est permis d'en avoir peur.
- penses-tu continuer à illustrer des textes d'autres auteurs ou aurais-tu envie d'essayer avec des histoires entièrement à toi?
Je voudrais continuer avec les deux, je suis toujours curieuse à propos de la collaboration avec quelqu'un externe à ma vision, car le résultat est deux fois plus riche. Mais, en même temps, je voudrais aussi me dédier à un projet soliste.
- aimerais-tu continuer avec les albums illustrés, où voudrais-tu faire expérience avec d'autres formes expressives?
Je crois que, pour grandir comme artiste, il faut faire des expériences et je suis jeune et prête pour des nouvelles aventures! Même si je ne veux pas abandonner l'album illustré, car il garde toujours une saveur puissante et magique.
- quelques nouveaux projets en chantier?
Comme je suis un peu superstitieuse je ne peux pas trop dire mais oui, je viens de commencer un nouveau projet avec une amie écrivain Silvia Santirosi****, il s'agit d'une étrange collection d'animaux. Allez, c'est tout!
Je remercie Sara pour avoir été avec nous et pour sa disponibilité. Je vais vous parler bientôt de La Governante d'Osmont, mais pour le moment il faut patienter....
* Carpi est une petite ville, en province de Modène, en pleine région émilienne.
** I Quindici c'était une collection de quinze livres, évidemment, version italienne de l'encyclopédie américaine "Childcraft". A chaque livre correspondait un sujet différent: il y avait la poésie, la géographie, la science, et beaucoup autre encore. Pour plus de renseignements vous pouvez voir ici.
*** Vous pouvez trouver toute information relativement au Master d'Illustration ici. Parmi les professeurs vous trouverez: Pablo Auladell, Maurizio Quarello, Joanna Concejo, Alessandro Sanna, Luigi Raffaelli, Carll Cneut, Fabian Negrin, Javier Zabala, Pia Valentinis, Gek Tessaro, Eva Montanari, Dušan Kállay et Kamila Štanclová, et n'oublions pas Mauro Evangelista, le papa de la Fabbrica!
**** Silvia Santirosi, un autre rencontre faite à Bologna et une découverte autant agréable que Sara. Silvia est journaliste, écrivain et illustratrice, c'est une jeune femme de grande culture et habilité qui trouvera sans faute sa place - j'espère importante - dans le monde de la littérature jeunesse.
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