Pages

lundi 21 février 2011

Les Cygnes Sauvages - Editions Notari et Topipittori

Les Cygnes Sauvages de Hans Christian Andersen, illustrations de Joanna Concejo, traduction en italien par Maria Giacobbe, Editions Notari et Ed. Topipittori, février 2011

A chaque fois que je tiens dans les mains un livre illustré par Joanna Concejo mes poignets tremblent pour l'émotion, pour autant que ses images m'arrivent directement au cœur sans filtres ni inhibitions. C'est au delà de mon contrôle, une vague émotionnelle m'engloutit totalement et me laisse à bout de souffle, comme si toutes les mémoires les plus belles et mélancoliques sortaient en même temps de leurs tiroirs ordonnés et se mettaient à danser dans mon corps.

Quand j'ai su que Giovanna et Paolo, les Topi, lui avaient confié l'un des textes les plus beaux et inaccessibles d'Andersen j'ai réjoui profondément, et non plus pour un instinct sadique: c'était l'une des histoires que ma grande mère me racontait le plus souvent, et j'étais impatiente de me pouvoir plonger dans l’interprétation que Joanna en aurait donné.

Ce n'est pas facile de se confronter avec un classique, et encore moins si le classique est signé Hans Christian Andersen, car la complexité psychologique de ses contes est lourde, car rendre ses atmosphères mélancoliques et poétiques est extrêmement difficile, car la dureté de ses histoires parait parfois sans espoir (je me souviens encore de l'angoisse éprouvée lorsque, enfant, je lus La Petite Sirène). Ce n'est pas simple de donner expression à une âme autant raffinée et inquiète.


Ce conte, en particulier, est extrêmement complexe, car il représente la chute du paradis enfantin ver l'abîme qui souvent s’accompagne à l'adolescence, entre désillusion et incapacité de communiquer, entre la perte des affections les plus chères et la tentative désespérée de les ramener à soi.

La protagoniste, Elisa, est seule. Abandonnée à elle même, chaque moment de son existence s'écoule dans le souvenir de ses frères autant aimés, qu'elle ne retrouvera qu'adulte, et des instants passés avec eux. Comme dans toutes les fables de respect, partisane de la chute est la méchante belle-mère qui éloigne les fils de leur père en les condamnant à un silence imposé, par la métamorphose en cygnes dans le cas des frères et par l'éloignement forcé dans le cas d'Elisa.


Elisa est davantage un enfant, et ensuite une jeune femme, aux grandes vertus, comme il convient aux classiques héroïnes des contes: belle, aimable, à la fois religieuse inébranlable, elle confie son destin et celui de ses frères-cygnes à la miséricorde divine, en suivant avec rigueur les préceptes qu'on lui donne sans jamais douter, sans aucun affaissement. En dépit des souffrances physiques, provoquées par les orties qu'elle doit filer afin de fabriquer les chemises qui dissoudront l'enchantement de la sorcière-belle-mère, en dépit de tous les risques qu'elle court, la jeune femme achèvera sa tache en assurant à ses frères et à elle même l'autant soupiré joyeux finale.


Joanna en a donné une interprétation magnifique, pleine de  renvois symboliques et de moments élevés. Ses illustrations ressassent la solitude d'Elisa dans plusieurs manières, comme dans le cas de l'illustration ci dessus, où les orties forment une sorte de cadre/prison isolant la belle princesse du reste du monde:


Cueillie le dos tourné, baissée sur son travail, la jeune femme parait une brindille pliée au changements de la vie: elle ne s’adresse pas à nous qui l'observons, elle ne peut pas parler, ou ses frères aimés mourront.

Mais je veux ramener votre attention sur la première image de ce billet, sur cette table spéculaire où le profil d'un cygne est peint, car cette illustration évoque avec puissance l'idée de présence/absence des frères: à la gauche le cygne est représenté en guise de fantôme, seulement vaguement amorcée, et la petite figure lointaine, aussi petite qu'un brin, représente Elisa rodant sans destination, à la recherche de ceux qu'elle perçoit sans voir; à la droite du cygne il ne reste que le négatif de la silhouette, presque à en souligner la distance, l'inaccessibilité, le manque.

L'absence, avec le désespoir de ne pas pouvoir terminer sa tache de tisser les onze chemises, est reprise aussi dans cette image


où, à une partie plus descriptive où l'on voit des minuscules chevaliers galoper en direction du château du Roi (qui a décidé de prendre Elisa avec lui et de la marier), s'oppose avec force l'image de la jeune femme, sur la gauche, visiblement désespérée, dont l'image est parfois éclipsée par ces disques brodés, transparents, qui apparaissent aussi dans les gardes du livre. La présence de ces objets semble souligner la sensation de vide qui se crée dans la jeune fille dans le moment où elle est séparée de ses frères, son corps en sort mutilé, effacé, et en même temps la forme en disque et la disposition en vol que l'illustrateur en donne, rappellent l'idée du voyage et de l'état provisoire de la situation.

Dans la dernière image que je vous propose, encore une fois Elisa nous tourne le dos, encore une fois elle nous apparaît en solitaire héroïne, encadrée par la foule qui, entre colère et incrédulité, l'assiège


Seuls bénins gardiens les petits oiseaux, qui observent la scène à la distance, comme à vouloir symboliser le regard bienveillant du ciel.

Notez enfin la merveilleuse harmonie des tables à pastel de Joanna, l'équilibre dans l'utilisation de la couleur, la finesse du trait.

Remarquable la traduction par Maria Giacobbe.

Ce livre ne coûte pas la "moitié du royaume", il ne coûte même pas vaguement  autant que le précieux livre d'Elisa, pourtant, si je vous ai inspirés assez, je vous suggère de visiter votre librairie ou de contacter les Editions Notari pour la version française du livre.






Copyright© texte et images, Ed. Topipittori 2011. Les images ont été reproduites avec la permission de l'éditeur, toute reproduction étant sévèrement interdite.

4 commentaires:

  1. Oh mince tu en avais parlé. Cela fait des semaines que je le cherche en librairie sans le trouver. Je ne sais pas pourquoi je voulais voir l'intérieur, comme si un Concejo pouvait se refuser.
    Oh là là je le commande de suite!
    J'ai pensé à toi aussi en m'offrant un autre de Giovanna ZOBOLI "L'ange des chaussures".

    Mais je reviendrais sous ce billet si magnifiquement argumenté, moi qui ne connais pas encore ce conte d'Andersen, il me faut le lire et y regarder de plus près les magnifiques "ajouts" de l'illustratrice.

    RépondreSupprimer
  2. Ciao Vanessa! Quel plaisir!!!! J'attends alors de lire ton opinion à propos de ce livre. Aussi, tu liras très bientôt quelque chose en plus à propos de Joanna et du travail sur ce livre, mais je te laisse la surprise... :-) Entretemps je suis curieuse de recevoir tes impressions!!!!

    RépondreSupprimer
  3. Oui, définitivement, tu en parles mieux que moi... je ne suis décidément pas conte, sauf si, et seulement si, il est illustré en apportant encore plus, comme là...

    RépondreSupprimer
  4. Bonsoir Vanessa, en effet Joanna est incroyable, elle arrive à toucher des hauteurs avec une sensibilité inégalée... Merci pour ton passage!!

    RépondreSupprimer