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samedi 12 septembre 2009

Il Paese Sbagliato


Présumer que d'autres personnes pourraient s'émouvoir, comme moi, en lisant ce livre est certainement erroné. Mais, comme je crois dans ce que Fossati* appellerait "appartenance", je pars de la prémisse que ceux qui me lisent partageront volontiers avec moi ces pensées.

Comme je le disais, je me suis profondément émue en lisant certains passages de ce beau livre.

"Il Paese Sbagliato" de Mario Lodi, Einaudi Editeur, Collection ET Saggi, 1970 et 1995. Publié en France, en 1972, avec le titre: "L'enfance en liberté. Journal d'une expérience pédagogique.".

Retrouver toute la fraîcheur de la pensée enfantine, pure, exempte de fins cachées, est un coup pareil à celui des ondes de l'océan: irrésistible et énergétique en même temps.

Pour ceux qui ne connaissent pas le livre, il s'agit d'un texte dans lequel Lodi a recueilli une série d'épisodes et de renseignements liés à ce qu'il appela l'une des peu îles heureuses dans le panorama scolaire Italien des années 1960, l'expérience avec la classe qu'il eut à Vho (près de Cremona) de 1964 à 1969. Lodi était partie de ce groupe d'enseignants d'école élémentaire qui avaient adhéré à l'MCE (Mouvement de Coopération pour l'Education): en se détachant des méthodes pédagogiques traditionnelles, les enseignants qui adhérèrent au Mouvement, approchèrent une nouvelle méthode d'enseignement finalisé à mettre l'enfant au centre su système. L'enfant n'est pourtant plus vu comme sujet/objet auquel inculquer des notions et des règles, mais comme être humain et libre penseur. Le but de cette méthode didactique (inspirée par le Français Freinet), comme l'explique bien Lodi, est la tentative de dégager l'homme d'une attitude passive, en le faisant devenir un penseur autonome et pourtant indépendant des logiques dominantes.

En m'excusant d'avance pour la traduction faite en vitesse, comme je n'ai pas l'édition française, je cite un passage pour tous, encore abondamment actuel:

"Dans la première guerre mondiale Agostino (ndr. un vieil homme qui avait été appelé pour raconter aux enfants de sa vie) dit que les Allemands étaient nos ennemis, tandis que dans la deuxième [guerre] au départ ils étaient nos alliés. Je ne comprends pas ce pétrin: enfin, qui est l'ennemi de l'Italie?
La conversation conduit à la conclusion que l'ennemi de l'Italie, comme de toute autre population, n'existe pas. Il existe au contraire plusieurs intérêts (comme les puits de pétrole par exemple) qui poussent les gouvernements à faire des guerres de conquête et donc à "inventer" à chaque fois l'ennemi.
[....] Pas à pas (ndr. pendant la discussion avec les enfants) on arrive à l'époque atomique.
- Est-il vrai - demande Angelo, - qu'un sous-marin est passé en dessous des glaciers du pole Nord et a fait le tour du monde à moitié sans essence ni charbon, mais avec une autre chose [énergie] que je sais qui s'appelle atomique mais je ne sais pas comment ça marche?
- L'énergie nucléaire est celle qui se dégage en liberté sur le soleil. L'homme a réussi à la reproduire, à l'emprisonner et à l'utiliser.
- Bon, très bien, - s'exclame Angelo, - et lui il en a fait la bombe!
L'affirmation d'Angelo provoque une réaction en chaîne sur ce que l'homme peut faire avec son intelligence. Et sur ce qu'il peut provoquer.
- Nous sommes en faveur de la paix, - dit Fabio en interprétant l'idée de tous.
- Si non...- ajoute Angelo, mais il s'arrête.
- Si non? - je lui demande en l'invitant à exprimer son idée.
- Si non cette ligne [c'est à dire la ligne historique de la vie d'Agostino qui domine celles de l'Italie et de l'humanité**] va terminer là et il n'y a pas de futur.
- Ce sera à vous d'écrire le futur, - lui dis-je.
- Bah oui, - dit Angelo,- nous on va faire une ligne qui commence là où la ligne d'Agostino va terminer.
- Tu liquides grand-père Augustin, - lui dis-je, - mais il n'a aucune envie de fermer son livre.
- Eh bien, - se rie Angelo, - on fera un bout de route ensemble alors." (page 197 de l'édition italienne).

Je me demande quelle sorte d'adultes sont devenus ces enfants, s'ils auront été capables de garder ce regard honnête sur le monde ou si, eux aussi, ils se sont laissés embarquer par les inutilités de la vie moderne, si eux aussi auront capitulé devant les nombreuses tentations et au lavage de cerveau continu auquel nous sommes soumis chaque jour? Vas savoir!

Il reste quand-même ce témoignage important, toujours épatant, émouvant comme je le disais auparavant, que j'espère ne se perdra jamais parmi les nombreuses oeuvres hors catalogue.


*ndr. Ivano Fossati est un musicien et auteur de chanson Italien, entre autres il a traduit et mis en musique le Déserteur de Boris Vian.

**ndr. Sur l'idée du maître, les enfants avaient donné une représentation graphique de la vie de M. Agostino, en mettant sur une ligne horizontale les événements qu'il avait racontés, soit des événements qui avaient eu une influence à niveau national, ou planétaire, que des événements plus personnels.

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